Survivre les Stalags : la vie comme prisonnier de guerre en Allemagne

Article rédigé par Amynte Eygun, MA.
Westmount, Québec – 23 octobre 2024: Dans les heures et les jours qui ont suivi la traversée initiale et l’assaut sur les rives du canal Léopold, les Allemands ont réussi à capturer et emprisonner l’ensemble du 3e peloton du RMR. Alors que les hommes, dirigés par le sergent Craddock, se dirigeaient vers la route Magdehem-Aardenburg, ils ont été interceptés et capturés par l’ennemi. Les soldats furent ensuite envoyés dans des camps de prisonniers de guerre allemands ou dans des hôpitaux pour soigner leurs blessures. Les Allemands disposaient d’un réseau détaillé de camps de prisonniers pour les civils et les militaires. Pour les prisonniers militaires, ces camps étaient appelés Stalags, abréviation de Stammlager, qui signifie « camp principal pour les prisonniers de guerre enrôlés » (Kriegsgefangenen-Mannschaftsstammlager). Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne nazie était divisée en 17 districts militaires, comptant plus de 1 000 camps de prisonniers répartis entre ces districts. Chaque district recevait un chiffre romain pour les identifier. La majorité des hommes du RMR faits prisonniers furent envoyés au Stalag XI-B à Fallingbostel. Ce nom se traduit comme « Camp 11B à Fallingbostel », en Allemagne.

Bien qu’il y ait peu d’informations sur le fonctionnement quotidien de ce Stalag, les récits de prisonniers nous donnent un aperçu des conditions de vie. De la fin janvier à la fin février 1945, 16 hommes du RMR étaient emprisonnés dans le camp surpeuplé, lorsque qu’un grand groupe de prisonniers du Stalag Luft IV (un camp pour les prisonniers de l’armée de l’air) furent transférés à Fallingbostel pour échapper à l’avancée des troupes russes en Allemagne. Le Stalag XI-B était alors surchargé de prisonniers affamés, avec peu de nourriture et d’espace pour tout le monde. Les prisonniers ont décrit la nourriture comme étant « des pommes de terre et un ragoût vert composé d’herbe bouillie et de betteraves sucrières bouillies. Cela n’avait aucun goût et ne faisait que remplir l’estomac… nous regardions les arbres au loin, au-delà des barbelés, en nous demandant si nous pourrions y aller, racler l’écorce et en manger l’intérieur plus tard. » Les hommes du Stalag Luft IV ne restèrent pas longtemps, mais les conditions horribles de Fallingbostel laissèrent un impact durable. Les hommes du RMR étaient dans le camp depuis fin octobre-début novembre, vivant des mois d’hiver rigoureux sans nourriture ni espace suffisant.

Parce que les Allemands avaient des camps distincts pour les civils et les militaires, il existait également de grandes différences dans le traitement de ces prisonniers. Selon l’emplacement des camps, les traitements variaient également. De nombreux camps de prisonniers de guerre de l’Axe en Asie avaient des conditions bien pires que ceux d’Europe, manquant des droits humains les plus élémentaires, de nourriture et imposant des travaux exténuants. Au Stalag XI-B, les geôliers respectaient dans l’ensemble les règles de la troisième Convention de Genève de 1929. Voici quelques exemples de ces règles :
Article 2 : Les prisonniers de guerre sont au pouvoir du gouvernement hostile, mais non des individus ou des corps de troupe qui les ont capturés. Ils doivent être traités avec humanité en tout temps et protégés, en particulier contre les actes de violence, les insultes et la curiosité publique. Les mesures de représailles contre eux sont interdites.
Article 4 : La puissance détentrice est tenue d’assurer l’entretien des prisonniers de guerre placés sous sa garde. Des différences de traitement entre prisonniers sont permises uniquement si ces différences sont fondées sur le grade militaire, l’état de santé physique ou mental, les compétences professionnelles ou le sexe de ceux qui en bénéficient.
Article 11 : La ration alimentaire des prisonniers de guerre doit être équivalente en quantité et en qualité à celle des troupes de dépôt. Les prisonniers doivent également avoir les moyens de préparer eux-mêmes les denrées supplémentaires dont ils disposent. Une eau potable suffisante doit leur être fournie. L’usage du tabac doit être autorisé. Les prisonniers peuvent être employés dans les cuisines. Toutes mesures disciplinaires collectives affectant la nourriture sont interdites.

Les soldats alliés qui se trouvaient dans des camps de prisonniers de guerre en Europe ont vécu dans des conditions globalement acceptables, leur expérience se résumant à une extrême lassitude et à une anxiété constante par rapport à la torture et aux abus infligés dans les camps de concentration civils. Le traitement des prisonniers de guerre était une source d’inquiétude pour les familles restées au pays, car « il n’y avait aucun bureau ou institution unique chargée de veiller à ce que ces règles soient respectées. » Conformément à l’article 11 de la Convention de Genève de 1929, les prisonniers de guerre alliés recevaient des colis de la Croix-Rouge canadienne qui étaient distribués parmi les groupes de soldats, leur donnant accès à des aliments et à des fournitures. Ces colis leur montraient également que leurs familles et leurs compatriotes pensaient à eux et faisaient de leur mieux pour les soutenir depuis le Canada. Ces colis étaient préparés par des bénévoles, dont l’association Junior Red Cross, qui comptait 842 000 jeunes Canadiens âgés de 5 à 19 ans répartis dans 29 000 branches scolaires.

Les colis étaient assez volumineux et fournissaient aux prisonniers les nutriments de base dont ils avaient besoin pour rester en vie et (relativement) en bonne santé. Chaque boîte en carton pesait environ 11 livres et contenait des aliments de base comme du lait en poudre, du beurre, du fromage, de la viande et du poisson séchés et en conserve, des biscuits secs, du thé, des fruits et légumes séchés, du savon et du café. Ces articles étaient généralement emballés dans des boîtes métalliques, que les soldats réutilisaient pour fabriquer des ustensiles, pour stocker des biens, etc. L’arrivée de ces colis enchantait les prisonniers, leur rappelant le soutien de leur pays et la reconnaissance de leurs familles. Pour beaucoup de prisonniers de guerre, ces colis constituaient « leur premier lien tangible avec leur foyer », alors que beaucoup d’entre eux étaient partis de chez eux depuis la fin de l’année 1939. Les colis de la Croix-Rouge étaient particulièrement prisés lorsque les bénévoles y ajoutaient des cigarettes. Cigarettes, chocolat, jeux de cartes et carnets de notes étaient très convoités, car ils permettaient de faire passer le temps plus vite et apportaient un petit goût de normalité. Les carnets, en particulier, leur offraient une évasion mentale, leur donnant un espace privé pour exprimer leurs émotions, leurs pensées et leurs peurs.